L’horizon

Est-elle arrivée au bout de l’horizon ? Nage-t-elle toujours, mon petit-frère sur le dos pour l’atteindre ? Pourquoi ne m-a-t-elle pas attendu ? Sans doute parce que je ne sais pas nager.
Elle reviendra plus tard, lorsqu’elle aura trouvé le paradis que papa et elle nous promettait. Je jalouse mon petit-frère. Il l’atteindra avant moi.
Je suis coincé ici. Sur cette île où papa et moi attendons de savoir ce que la police fera de nous. Je regarde l’horizon pour guetter le retour de ma maman. Combien de temps mettra-t-elle pour revenir ? Elle me manque.
Lorsque l’horizon se dessinait sur le sable, cela paraissait déjà long. Nous avons passé beaucoup de jours et de nuits à traverser des pays et des déserts. Maman ne me manquait pas. Elle me racontait l’endroit où nous allions vivre. Elle me décrivait la grande tour où son tonton vivait. Elle était plus grande que toutes les habitations que j’ai vu dans ma vie. Elle touchait le ciel certains jours. Son tonton disait qu’on pouvait croire que les nuages rentraient dans les maisons. Il pouvait manger à sa faim.
Cela semblait féérique. Maman m’a toujours paru être magicienne. Elle est capable de faire à manger de peu de choses. Elle transformait les maigres réserves en festin. Lorsqu’elle nous chantait les histoires du pays, on l’imaginait convoquer les esprits.
J’envie mon petit frère qui peut encore les entendre. Elle ne chantait plus depuis que nous avions quitté le village. C’est comme si les esprits étaient restés là-bas. Ce qui était bien, c’est qu’elle nous embrassait et nous serrait dans ses bras plus souvent encore. Surtout quand les autres adultes criaient. Elle savait réduire les hurlements. Elle est magique maman.
J’ai eu très peur lorsque nous avons grimpé sur le bateau. Je voyais bien que papa et maman aussi. Elle ne voulait pas. Il disait que nous n’avions plus le choix. Alors elle m’a réconforté et mis à côté d’elle dans ce canot très rempli. Je la serrais du plus fort que je pouvais. Elle n’a rien dit lorsque je me suis pissé dessus. Ses grands yeux tristes m’ont regardé et elle m’a embrassé.
Quand il a chaviré, beaucoup de monde est tombé. Papa a tenté de nous rattraper. Dans les remous de la mer, j’ai tout fait pour ne pas le lâcher. Je me suis cramponné. Je n’ai rouvert les yeux que lorsque nous avons été amenés dans le grand bateau. Papa hurlait et pleurait. Je ne comprenais pas.
J’attends toujours, le regard sur l’horizon. Elle a sans doute atteint l’autre rive. Peut-être qu’ils ont retrouvé son tonton. J’aimerais tant la revoir. La serrer fort dans mes bras. J’essaye de plus faire pipi sur moi pour qu’elle soit fière de moi. Papa pleure toujours.
Reviens maman. J’aimerais entendre encore les chansons d’autrefois. J’aimerais que papa arrête de pleurer. Reviens vite.