Le nouveau coiffeur

Rien ne serait arrivé si je n’avais pas changé de coiffeur. C’est à croire que changer de coiffeur c’est changer de mari. Bon, disons plutôt changer de vie, car mon cas n’est pas universel.

Il y a sans doute des gens pour qui ne pas changer de coiffeur a apporté des choses… mais de là à changer de conjoint, je ne pense pas. Non, il y a des circonstances qui font que. Je n’y avais jamais songé avant. Les événements ont fait que. C’est bête, hein ? Oui, c’est ce que je me dis. Ça ressemble à une phrase que j’ai convenue sur les battements d’aile d’un papillon. Je ne sais plus où je l’ai entendu. C’est mon problème ça. Je ne sais plus. Mais la phrase formulait quelque chose comme « Un battement d’aile de papillon d’un côté du globe peut avoir des conséquences énormes de l’autre côté du monde ». Je ne me souviens plus de la phrase, mais le concept est là. Vous voyez certainement de quoi je veux parler. Moi oui.

Mais je m’égare. Comme souvent. Vous l’avez sans doute remarqué. J’ai déjà oublié mon mari. C’est vraiment représentatif de ma vie. Je divague et une idée en amenant une autre, je suis autre part.

C’est littéralement ce qui m’est arrivé quand mon coiffeur est décédé. J’ai dû aller ailleurs. Je me dis qu’il a emporté tous mes secrets dans sa tombe. Enfin… mes secrets… disons plutôt ce que je lui ai déclaré. Et je lui parlais de tout. Je lui confiais tout. De mon mariage pépère à mes bouffées de chaleur. De mon fils qui avance cahin-caha, surtout caha, à mes petits-enfants gentils, mais un peu bouffons. Ma belle-fille n’aide vraiment pas avec son manque de caractère. Mon fils aurait dû prendre une fille à poigne. Mais je crois qu’il a trouvé un modèle qui me ressemblait. Bref, il savait tout. Aller chez lui était mon plaisir. Mon confessionnal selon certains, mais comme je ne suis pas pratiquante, son salon faisait office de confessionnal rempli de produits capillaires à la place de bougies et de photos de blondes pulpeuses sur papier glacé à la place des icônes, mais enfin… le décor est là. Même les rituels avec le shampoing et tout ce qui s’en suit… Mais encore une fois je m’égare. Décidément… Je suis impayable. Je vous avais prévenu.

J’ai trouvé par hasard un salon un peu plus loin de chez moi. Je vis un beau jeune homme attendant une clientèle. Il s’installait. Et moi aussi. Sur son fauteuil. Il était tellement avenant avec ce sourire charmeur que je suis entré sans m’en rendre compte. Et nous avons beaucoup bavardé. Sans m’en rendre compte non plus. C’était fluide. La connexion fut simple. Mais tout fut ensuite différent. À commencer par ma coiffure.

J’ai gagné dix ans. Enfin, ma tête avait rajeuni de dix ans et mes vêtements avaient eux vieilli. Je le remerciais chaleureusement, mais maintenant je devais m’occuper du reste. Ce fut fait rapidement. Je filais d’un magasin à l’autre. Frénétiquement. Vous ne m’auriez pas reconnu. Je shoppais. La carte chauffait. Mais j’en avais besoin. À chaque fois que je retournais à son salon, j’avais l’impression de me dépoussiérer. Je me trouvais belle. Je me sentais neuve. Une sensation oubliée depuis longtemps.

Maintenant que ma garde-robe avait changé, je compris le décalage entre le nouveau moi et mon chez-moi. Vieux. Rabougri. Mon mari aussi. Mais là, la carte bleue n’aurait pas pu le supporter. Alors je ne pus plus l’endurer. Je parle de mon compagnon. Et de la maison. Je lui crachais à la figure mes années perdues à vivre une vie de merde. Il ne comprit pas. Il prit peur. Puis il prit la poudre d’escampette. Pas longtemps. Je lui manquais. Une femme qui rajeunit ça vous change un homme. Moi, ce qui me manquait, c’était un homme attentionné, non bedonnant et qui me regardait avec l’envie d’un puceau. Il devait donc redevenir un jeune mari. Malheureusement, les cheveux, ça ne repousse pas par miracle. Mais l’intérêt peut repousser lui.

Alors il fit des efforts. Il fit attention à lui. Il fit attention à moi. Ce n’était pas surprenant, mais c’était touchant. Il s’habillait bien. Il me regardait à nouveau. Il se passionnait pour moi.

Oui, changer de coiffeur m’avait changé. Et cela avait changé mon mari. Qui l’eût cru ?