Le crocoeur

Mes yeux m’ont trompé,
J’ai eu l’illusion d’être aimé,
D’avoir aperçu la lumière
Derrière mes vantaux peints
De mon sang au goût amer.
Le soleil se levait le matin.

Mon ouïe m’a trompé,
J’ai entendu le mot aimer.
J’ai entendu des mots si doux
Et pourtant j’y ai vraiment cru
Jusqu’à comprendre enfin tout,
Les quiproquos et malentendus.

Mon toucher m’a trompé,
J’ai eu l’impression d’être aimé
Mais l’impression s’est effacé
Avec la raréfaction des caresses,
L’oubli de la façon d’enlacer,
Jusqu’à ce que tout disparaisse.

On a croqué mon cœur
Comme un fruit bien mûr.
Je n’ai pas ressenti la peur
De la proie dos au mur.
On a croqué mon cœur
Mais c’est là que la douleur
Se ressent, piqure de rappel
Pour éviter les hormones
Qui vont aller de plus bel
Réveiller en moi l’homme.

Mon odorat m’a trompé,
Je me suis senti si aimé.
Je n’ai pas senti le nauséabond
parfum de mes prédécesseurs,
Enivrant comme mon abandon
Je sens enfin cette odeur.

Ma langue m’a trompé,
Alléché par le fait d’être aimé.
C’était animal et instinctif,
L’envie d’être mêlé, mélangé
Mais j’ai dû être roboratif
Et je ne suis plus à manger.