L’oiseau en moi

Je suis l’éléphant dans la patinoire,
Les yeux rivés à la porte de secours.
Je suis l’élégant qui vient de choir,
La honte gravée dans les rires autour.

Je suis l’étranger en mal du pays,
Le passé effacé d’un trait de plume.
Je suis le messager qui a perdu son pli
Qui s’est lassé de vivre dans la brume.

J’aimerais libérer
L’oiseau en moi.
Il ne l’a pas volé.
Histoire de faire un choix
Ou deux loin de la cage.
Promis, je serai sage
Je veux bien être Phoenix
Quitte à franchir le Styx.

Je suis l’apathique dans cette soirée
Où es jambes lourdes me rendent gauche.
Je suis le stoïque qui laisse dériver
La mélodie sourde de celui qui fauche.

36 adieux

Aucune distance ne facilite la tâche.
Le téléphone brûle mes doigts
De peur qu’encore on se fâche
Et que tu me balances ce que je te dois.

Ton visage et cette icone m’appellent
Pour qu’encore une fois je te blesse
Avec le même sermon sempiternel
Où ce que je t’ai fait je le confesse.

J’ai besoin d’entendre encore ta voix
Et croire notre séparation irréelle
Même si j‘en suis coupable. Je vois
Dans les sons ta rancœur qui révèle

Toute la douleur que j’éveille en toi
Car tu m’as aimé sans rien vouloir
Et j’ai cru mais sans avoir la foi.
Je t’ai aimé sans même le savoir,

Sans même te connaitre, involontaire.
Ma vie et la tienne se sont croisées
Et ont tourbillonnées sans en avoir l’air
Mais l’apesanteur tue les doux baisers.

J’ai pleuré de devoir te laisser partir,
Toi qui voulais m’accompagner plus loin.
Je me suis forcé à rompre sans mentir
Car toi et moi prenions différents chemins.

J’ai encore besoin de ta douce voix
Et, si j’osais le confesser, de ton corps
Car sans ton attention je suis aux abois
Même si dans la vie je joue le fort.

Mais renouer voudrait dire retomber
Pour devoir se relever, toujours amoché,
Alors je garde raisons et je laisse tomber
Mon envie de t’appeler pour me reprocher

Encore une fois d’avoir pris la décision.
Voici mes adieux pour la trente-sixième
Fois et la prochaine sera encore sans raison
Sauf peut-être que, malgré moi, je t’aime.

L’autre langage

Ma langue fourche
Et les cœurs sont encore écorchés.
On prend la mouche
Car mes propos ont amoché

Sans le faire exprès.
Je suis gauche à mains d’argent,
Les allées de cyprès
Pleurent sous mes coups négligents.

Je ne sais pas dire
Pourquoi à vos yeux je parle chinois
Je ne vais contredire
Ceux qui ricane lorsque je me noie.

D’un mot de travers,
Une expression malheureuse et amer
Qui me gifle d’un revers
Sans avoir à corriger ma grammaire.

Mes yeux fuient telle une passoire
Et aucun ange passe pour voir
Mon désespoir de ne pas être compris.
J’ai besoin de l’autre langage,
Celui qui me permettra d’être pris
Pour humain car j’ai la rage.

Je voudrais parler
De mes émotions sans blesser,
Sans voir déferler
Les vociférations, s’en ai assez.

D’être rejeté là
Comme un morceau de miroir
Brisé, petits éclats
Qu’on évite comme un mouroir.

Comment te pardonner

Oublier ta faute
N’est-ce pas simple ?
Le Malheur contemple
Tes yeux suppliants.
Ta véritable faute
C’est de me croire terrifiant.

Oublier ta faute,
Ne l’ai-je pas déjà fait ?
Ton chemin est imparfait
Mais mon pardon trompé.
Ta véritable faute
Est de m’oublier.

Comment te pardonner ?
A peine l’ai je fait,
Te voilà
A cent mille lieux de moi.
Comment te pardonner ?
Cet affront m’a souillé
Mais voilà,
Je te pardonne
De m’oublier là…
Je me donne.

Oublier ta faute
N’était-elle pas ma seule chance
Pour garder ta confiance ?
Ma véritable faute
Est mon pardon
sans raison.

Comment te pardonner ?
A peine l’ai je fais,
Te voilà
A cent mille lieux de moi.
Comment te pardonner ?
Cet affront m’a souillé
Mais voilà,
Je te pardonne
De m’oublier là…
Je me donne.

Oublier ta faute…
Oublier ma faute…
Nous oublier…
Pour l’éternité…

Des papillons dans le ventre – extrait

Mon premier roman “Des papillons dans le ventre” est toujours en vente. Voici, pour vous remercier d’être aussi nombreux à venir sur mon site, un extrait de mon roman.

Jamais en près de quinze ans dans mon cabinet, je n’avais annulé mes rendez-vous à la dernière minute. Cas de force majeur. Cas de force réduite au minimum plutôt.
Je n’avais plus l’énergie à rien. Toute ma concentration allait vers les remords que je nourrissais. Telle une bête immonde, chacune de mes actions depuis deux jours la renforçait. Plus rien n’arrêtait sa croissance. Comme si mon désir était le moteur premier de ma destruction.
Lorsque je me suis réveillé ce matin, j’étais en plein désarroi. Sa peau me manquait à chaque seconde où je ne la touchais plus. Elle me brûlait comme l’enfer consume les damnés. Les regrets alourdissaient mes pensées et mes gestes comme un boulet. J’aurais dû me réveiller comme l’être le plus heureux au monde. J’étais misérable.
Il m’écrivit dès son réveil.
« Bonjour mon amour. Bien dormi »
« Bonjour Damien. Pas assez ☹ je suis fatigué. »
« Ha zut… Tu veux que je vienne ? »
« Non. Tu as tes cours. Je crois que je vais annuler mes rv de ce matin. »
« mais pourquoi ? Ca ne va pas ? »
« Je suis incapable de traiter un seul patient. J’ai besoin de repos. »
« On se voit quand même tout à l’heure ? »
« Oui. Ne t’inquiète pas. Je vais juste me reposer. »
« Mon pauvre amour ☹ Je suis triste pour toi. »
« Merci mon beau. »
« Je t’aime. A très vite »
« A très vite. Idem »

Goûter impromptu

Voici un nouvelle que j’ai terminé. J’espère qu’elle vous plaira.

— Bonjour mademoiselle. Que faites-vous sur les marches de mon entrée ?
— Pardon, je ne voulais pas vous déranger !
— La politesse exigerait que vous me répondiez « bonjour ». Vous ne m’importunez pas. Je suis juste étonnée de vous trouver là. Vous pleuriez ?
— Oui pardon, bonjour, dit-elle en séchant ses larmes.
— Ce n’est rien. Vous avez l’air chamboulée. Venez donc cinq minutes chez moi reprendre des forces, vous semblez en avoir besoin.
— Merci, Madame, mais ça ira. Je vais rentrer.
— J’insiste, rétorqua la vieille dame.
— Alors cinq minutes.
— Voici qui est raisonnable. Entrez donc. Mon salon est la première porte à droite. Asseyez-vous. Je crois qu’il me reste quelques biscuits. J’arrive.
— Merci, Madame, c’est gentil, mais je n’ai pas faim.
— Allons bon ! Ils ne sont pas pour la faim, mais pour remonter le moral. Je reviens.
— Merci.
— Tenez ! J’ai trouvé ceux-ci. Je les garde pour mes arrière-petits-enfants. Ils aiment bien. Vous en voulez ?
— Merci. Je ne connais pas ces gaufrettes.
— Ha ! Je suppose qu’ils ne sont pas à la mode. Et tenez, j’ai une bouteille de jus de pomme. Je vous sers un verre. Ça fera passer les biscuits avec délice, vous verrez.
— Je ne sais pas quoi dire. C’est trop.
— Dites-moi alors ce qui vous a amené à pleurer sur le perron de ma maison. Ce sera un bon début.
— C’est que ce sera déprimant. Et puis nous ne nous connaissons pas.
— Permettez-moi de vous dire que, du haut de mes quatre-vingt-quatre ans, je maitrise très bien l’ennui. Ce que vous pourrez me raconter ne pourra que rendre ma journée plus intéressante. Pour la seconde objection, et bien je m’appelle Gabrielle. Et vous ?
— Mathilde.
— Quel prénom charmant ! Vos parents ont bon goût. Il vous va à ravir. Alors, Mathilde, maintenant que les présentations sont faites, pourriez-vous m’expliquer ce qui vous chagrine à ce point ?
— C’est compliqué. Je n’ose pas.
— Je comprends. Une vieille dame vous invite, vous offre des gâteaux et à boire pour ensuite vous demander de parler de votre vie… C’est assez inusuel. Je vais démarrer la conversation si vous le voulez bien. Cela vous permettra de vous mettre en confiance.
Mathilde sourit sans répondre.
— Très bien. À vue de nez, je dirais que nous avons soixante-dix ans d’écart, mais je parie que nous avons pas mal de choses à nous raconter. J’ai vécu une guerre mondiale, sa seconde évidemment ! Je suis vieille, mais tout de même….
Mathilde rigola.
— Voilà qui est mieux ! Un charmant minois pour m’aider à parler. Vous êtes plein de talents, Mademoiselle. Je suis née un peu avant la guerre. J’ai surtout connu la fin de celle-ci. Je me revois le jour où mon père est rentré de la guerre ! J’avais sept ans.
— Vraiment ? Il était soldat ?
— Oui. Il a été appelé dès les débuts. J’avais deux ans. Ma mère me parlait de papa. Pour que je garde le souvenir. Elle avait tellement peur que je l’oublie ! Et elle avait raison, car j’aurais oublié son visage sans les photos qu’elle avait placées un peu partout, et notamment dans notre chambre. Je dormais à côté d’elle.
— Ha bon ? Pourquoi ?
— Ma mère a dû quitter la maison qu’ils louaient, car elle ne travaillait pas. Comme beaucoup de femmes de l’époque. Elle y fut obligée lorsque mon père est parti combattre. Il fallait nous nourrir. Ainsi elle a repris sa chambre chez ses parents, en Vendée. Il n’y avait pas beaucoup de place. Nous dormîmes dans la même pièce. Et elle travailla par-ci par-là. Ma grand-mère me gardait pendant ce temps-là.
— Et c’était comment la guerre ?
— Oh ! J’étais trop petite et trop loin des combats pour avoir été traumatisée. Je n’ai manqué de rien. J’avais ma mère et mes grands-parents pour s’occuper de moi. Ensuite, je rejoignis l’école du village. Et toi ? Raconte-moi ta famille, veux-tu ?
— Famille normale. Mes parents sont divorcés. J’ai une grande sœur, un demi-frère et une demi-sœur. Ma grande sœur est au lycée. Elle est en première. J’ai un demi-frère par ma mère qui a onze ans et une demi-sœur par mon père qui a sept ans. Voilà.
— Et bien, tu as une famille bien originale pour quelqu’un qui semblait ne rien avoir à dire. À mon époque, cela n’existait pas. Et tout va bien avec eux ?
— Oui… jusque là, tout va bien. Vous ne connaissez pas les divorces ?
— Bien sûr que si, rit de bon cœur Gabrielle. Un de mes fils s’est séparé, mais il ne s’est pas remarié.
— Combien avez-vous d’enfants ?
— Mon mari et moi en avons eu trois. Deux garçons et une fille. Mon ainé, Pierre, a 61 ans. Alice a 58 et Marcelin 51. J’ai aussi cinq petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. Et quel âge as-tu, mon enfant ?
— J’ai quinze ans, madame.
— Tu es bien jeune. Plus que mes petits-enfants. Ils sont tous adultes désormais. Que fais-tu ici ?
— J’étais sur la route pour rentrer chez moi. (temps de réflexion).
— Nous ne nous connaissons pas. Tu ne devrais donc pas te sentir gênée pour me dire ce qui ne va pas, tu sais ? Je ne vais pas te juger. Ni te gronder. Je ne me voyais pas laisser une si jeune fille pleurer ainsi devant chez moi sans réagir. Tu peux me dire tout ce que tu veux. On m’a souvent déclaré que je suis une très bonne oreille.
— C’est délicat (nouveau silence). Je me suis embrouillée avec une copine.
— Je suppose que la dispute a dû être très violente pour que tu pleures ainsi sur mon palier.
— Violente, non. Blessante, oui.
— Je vois. Quel en était le sujet pour que cela se soit si mal passé ? Un petit ami peut-être ?
— (Sourire). Cela aurait été plus simple, je pense.
— Ha ? Comment cela ?
— C’est compliqué, même si l’on ne se connait pas. Je ne sais pas comment vous pourriez réagir, dit-elle en baissant les yeux.
— Écoute, ma chère Mathilde, je peux essayer de t’aider sans être sure du résultat. Mais je peux te promettre aisément de ne pas te juger. Je tâcherai d’être aussi patiente et bienveillante qu’avec mes petits-enfants. Et Dieu sait qu’ils en ont abusé avec délice. Comme de ces gâteaux d’ailleurs. Tu devrais en reprendre un. Rien n’est plus réconfortant qu’un biscuit en bouche.
— Merci, c’est gentil.
— Si je comprends bien, c’est une peine de cœur, mais cela ne concernerait pas un petit copain. Je ne suis pas une très bonne détective, vois-tu ? Pourrais-tu me donner un indice ? Je peux très bien te parler de choses que j’ai vécues ou entendues de la part d’amies, mais cela ne t’aidera pas, je pense. Ai-je raison ?
— Oui, acquiesça-t-elle en baissant la tête. Je l’aime, mais elle non.
— Ha ! (temps de réflexion) Je comprends que tu trouves ça délicat. J’aurais été à mille lieues de le deviner. Tu es si… féminine !
— Ben oui. Y’a pas que des camionneuses, vous savez, objecta-t-elle en relevant le menton.
— Oui, pardon, tu as parfaitement raison. Désolée, je ne suis pas familière avec ces histoires d’amour. Après tout, cela arrive aussi chez les gens… les hétérosexuels. Les sentiments ne sont pas forcément partagés.
— Vous avez failli dire « les gens normaux », non ?
— Oui, je le confesse. Je n’ai pas été souvent confronté à ça… enfin… une histoire d’amour entre personnes de mêmes sexes si j’ose dire.
— Vous pensez ? Cela existe depuis toujours. Nous n’avons rien inventé. Je suis sûre que vous en avez connu. Vous ne les voyez pas.
— Détrompe-toi. Il y avait madame Yvette Blampain. C’était la femme du notaire. Elle était de la génération de ma mère. Au sortir de la guerre, elle n’était toujours pas mariée. Ses parents sont décédés très tôt. Elle était fille unique. Un jour, une femme a débarqué chez elle. Jacqueline, je crois. Elles sont restées ensemble très longtemps. Cela a fait jaser, car Yvette était très belle. Elle était très courtisée. Mais aucun homme n’arrivait à la séduire. Pourtant, tous les célibataires du coin ont essayé, croyez-moi ! Et elles ne se quittaient pas. Jacqueline avait des airs très masculins. Des rumeurs ont circulé évidemment. Les éconduits se lâchaient sur elle. Et les femmes jalouses de sa liberté. Elle n’avait pas de mari. Elle pouvait donc faire ce qu’elle voulait de sa vie. Et elle était riche grâce à l’héritage de ses parents. Elle travaillait peu. Mais, à un moment, elle a visiblement eu besoin d’argent. Elle chercha du boulot partout. Les gens disaient qu’elle gâtait Jacqueline. Il est vrai qu’elle était toujours bien habillée. Elle avait même appris à conduire et avait une auto. C’était très rare à l’époque. Certains lançaient qu’Yvette lui avait payé le permis et la voiture. Et Jacqueline voyageait beaucoup. Parfois seule. Tout le monde pensait qu’elles étaient en ménage.
— Mais vous m’avez dit que c’était la femme du notaire, non ?
— Oui, c’est exact ! Un jour, Jacqueline est partie pour ne plus jamais revenir. À ce qu’il parait, Yvette était sur la paille. Avait-elle été volée ? Personne n’en sut jamais rien. Elle voulut trouver du boulot, mais la rumeur lui avait coupé beaucoup de possibilités. Les hommes du coin se méfiaient d’elle. Et si elle tentait de séduire leur épouse sous prétexte de travailler ? Et si elle les volait ? La pauvre dut mettre la maison familiale en vente.
— Et que s’est-il passé ?
— Il se trouve que le notaire était célibataire. Sa femme était décédée. A priori, ils durent tomber amoureux, car il la demanda en mariage et elle accepta. Il n’était pas de toute première fraicheur. Tout le monde pensa qu’elle ne l’avait épousé que pour l’argent. Il aurait épongé ses dettes. Par contre, elle perdit toute liberté. On ne la voyait plus beaucoup après son mariage. Ils n’eurent aucun enfant. Un jour, elle se suicida. Elle n’avait pas beaucoup plus que quarante ans. C’était arrivé peu après la disparition de leur servante. Une jeune demoiselle d’origine espagnole. Les gens ont imaginé qu’elle était tombée amoureuse de celle-ci et que, folle de chagrin après son départ, elle aurait décidé de mettre fin à ses jours. Aux obsèques, à ce qu’il parait maitre Blampain fut froid comme la glace, ne démontrant aucune affection. Sa femme fut d’ailleurs enterrée dans le caveau de ses parents, et non pas dans celui de la famille des Blampain. Cela interpella tout le monde.
— Et vous pensez qu’elle l’était ? Lesbienne…
— Comme beaucoup, j’y ai cru. Tout cela était bien troublant, à vrai dire. J’y ai appris qu’écouter l’autre est de première importance. Se serait-elle suicidée si quelqu’un avait pu entendre sa détresse ? Je ne saurais dire. Je pense que c’est une pierre pour retrouver un chemin déjà. Et toi ? Où va le tien ? Tu semblais hésiter.
Mathilde se tortilla sur sa chaise.
— Je me reconnais un peu dans cette Yvette.
— Et pourquoi cela ? Penses-tu que ton, disons, attirance pour elle va si loin que tu puisses dire « amour » ? N’est-ce pas de l’amitié ?
— Non ! C’est de l’amour. Ça picote grave. J’ai le cœur affolé dès qu’elle me contemple. Et si ses yeux me regardent avec attention, je panique ! C’est de l’amour !
— D’accord ! D’accord ! Mais quand as-tu compris que tu étais attiré par les filles ?
— Y’a pas de date. C’est un sentiment diffus. Une évidence. Je ne me suis jamais posé la question. Et vous ? Vous êtes-vous un jour dit que vous étiez hétérosexuelle ?
— Non, tu as raison, sourit Gabrielle.
— Moi non plus. Les autres le font pour moi.
— Que font-ils ?
— Penser que je me suis réveillé avec une envie d’être particulière. Je n’ai jamais cherché à être différente. C’est dur, vous savez ? On se demande si l’on ne devrait pas se forcer à être normale. J’ai même eu un petit copain. Pour ressembler aux autres. Rentrer dans le rang.
— Tu m’as l’air d’une fille tout à fait normale, ma chère Mathilde. Et bien éduquée. Que vas-tu faire pour ton amie ?
— Je ne peux clairement pas retourner au bahut après ça ! Je vais avoir trop honte…
— Comment cela ? Tu le dois ! Cette histoire ne doit pas t’empêcher d’apprendre, d’avancer, de te construire un avenir. Crois-tu qu’un garçon qui se serait fait rejeter par une fille devrait se cacher dans un trou, loin de la société ? Je ne pense pas. Tu mérites mieux que ça.
— Facile à dire.
— Pas tant que cela. Je t’ai parlé de Marcelin, mon cadet. Il a traversé cela il y a bien longtemps. J’aurais aimé le soutenir, mais mon Gaston n’y était pas favorable. Ça a été très compliqué.
— Il a fait son coming out ?
— Presque. C’était un enfant rieur, très joueur. Un peu frêle. Pas assez viril pour mon mari. Mais j’étais aux anges. Il était tout le temps avec moi, m’aidant à la maison. Un vrai petit chérubin. Gaston m’en a voulu très longtemps…
— Pourquoi ?
— Parce que, pour lui, j’avais enlevé sa masculinité à son fils, je l’avais trop chouchouté. Et j’avoue que j’ai pensé que c’était le cas. Je le crois encore parfois. Marcelin n’était pas efféminé, mais resta un garçon filiforme et gracieux. Que je le trouvais beau ! Il avait un visage doux. Une éducation irréprochable. Mais à l’adolescence, il devint mutique. Il avait des copains, mais jamais de copines. Rien d’inquiétant. Jusqu’à ce que je découvre dans sa chambre des photos de mannequins masculins en slip dans un cahier qu’il cachait dans ses affaires. J’ai pensé au début qu’il voulait leur ressembler. Je crois qu’une mère ne peut pas concevoir que son garçon est… qu’il préfère les hommes. Je n’en ai jamais parlé à Gaston ! Il m’aurait accusé d’en être coupable ! J’ai essayé de discuter avec Marcelin. Des centaines de fois, je me suis imaginé que nous abordions le sujet. Mais jamais les mots ne sont sortis. J’avais trop peur des réponses. Et lui de son père. De sa réaction. Et malheureusement, il avait raison.
— Alors il ne l’a jamais dit.
— Tout d’abord, il s’est mis à sortir avec une fille qu’il a épousée. Sylvie. Une femme attachante. Je l’ai beaucoup apprécié. Mais il était triste. Je ne l’ai pas vu à l’époque. J’étais trop contente de me dire que je m’étais trompée. Son mariage me rassura. Il était silencieux depuis l’adolescence. Nous n’y avions pas vu son mal-être. Et comment aurions pu ? Tout n’était que non-dit. C’est bien plus tard que j’ai compris qu’il n’aurait jamais pu faire le premier pas. Son père lui faisait trop peur. À moi aussi. Je n’ai pas voulu l’admettre. Jusqu’au jour où il s’effondra. Je ne l’ai pas vu arriver.
— Carrément ? Que s’est-il passé ?
— Il était tombé amoureux d’un homme. Ils se fréquentaient depuis un moment. Marcelin souffrait de le cacher. Il ne supportait plus de tromper Sylvie, mais il n’acceptait pas l’idée de la détruire s’il lui annonçait la chose. Il se sentait piégé. Un jour, il vint à la maison me rendre visite. Gaston n’était pas là. Je lui ai à peine demandé comment ça allait que je vis que le barrage allait rompre, les yeux humides. Il s’effondra sur une chaise et se mit à pleurer toutes les larmes de son corps. Toutes celles qu’il avait retenues depuis le premier jour où il avait décidé de garder son secret. J’eus l’impression d’être avalé par une avalanche. Je tentais de m’accrocher à ses propos pour ne pas perdre pied. À écouter tout ce qu’il me disait avec un détachement que j’étais incapable d’avoir. Je comprenais que nous allions au-devant d’une grande catastrophe, mais que nous ne pourrions l’éviter. Comme une voiture qui va dans le mur. Ce fut le moment le plus éprouvant de ma vie.
— C’est ce que je ressens en ce moment même.
— Je le sais. C’est pour cela que je te parle de mes histoires. Je ne veux pas que tu fasses les erreurs d’Yvette ou de mon Marcelin. Tu n’as qu’une vie.
— Merci, Madame.
— Gabrielle. Gaby même, si tu veux. Certains de mes petits-enfants m’appellent Mamie Gaby.
— D’accord, Gaby. Mais qu’est-il arrivé à votre fils après cela ?
— Je lui ai promis d’être toujours là pour lui, mais que son père lui ne le serait sans doute pas. Je lui ai demandé s’il pouvait rester avec Sylvie, mais j’ai vu à ses yeux que ce serait au-dessus de ses forces. Les pleurs allaient redoubler rien qu’à l’idée de continuer. J’en fus déchirée, car sa femme est vraiment une belle âme. Mais, que voulez-vous ? Ce ne sont pas les personnes les plus mauvaises qui souffrent le plus sur cette Terre. Et la pauvre Sylvie en fit les frais. Après notre discussion, il la quitta. Un jour où elle n’était pas là, il fit ses valises et lui laissa une lettre. Elle en fut dévastée ! Je lui en voulus, mais c’était mon fils. Elle ne put supporter de rester à la maison alors nous l’avons accueilli le temps qu’elle reprenne pied. Gaston fut fou de rage ! Il refusa d’adresser la parole à son fils après cela. J’ai tenté de le raisonner, mais je devins le bouc émissaire de sa colère. Je dus parler à Marcelin en cachette pendant les années qui suivirent. Jamais plus ils ne se croisèrent. Lorsque mon Gaston décéda, Marcelin en fut bouleversé. Il aurait tant voulu que son père accepte. Mais il était trop orgueilleux ! Je sais pourtant que Gaston aurait souhaité que Marcelin revienne. Il ne comprenait pas que Marcelin ait trop peur de lui. Marcelin a beaucoup pleuré le jour de l’enterrement.
— Et depuis ?
— Marcelin refait partie de la famille. C’est du passé. Plus personne ne peut effacer le mal que nous nous sommes tous fait. Nous pouvons juste tenter de guérir nos plaies. S’écouter. S’appuyer les uns sur les autres.
— J’aimerais pouvoir en faire de même. Je ne sais pas si ma famille ou mes amis seront là pour moi.
— Et pourquoi ? As-tu essayé au moins ? Quand il s’agit de nos enfants, nous sommes capables de beaucoup de choses, tant que nous pouvons les aider à être heureux.
— Et pourtant, votre mari a rejeté son fils.
— Ils ne se sont pas compris. J’imagine que si Marcelin avait osé affronter son père pour lui dire la vérité, peut-être cela aurait été différent. Je ne juge pas Marcelin, mais je pense qu’ils ont tous les deux voulu que l’un fasse un pas vers l’autre. Jamais ils ne se sont dit que faire un pas aurait amené l’autre à le faire. Gaston a regretté de ne pas revoir son fils. J’en suis convaincue. Et Marcelin a été rongé de remords de ne pas avoir dit à son père qu’il l’aimait avant qu’il ne parte. Ça, je le sais.
— Vous avez peut-être raison…
— Je te propose de venir me le dire lorsque tu l’auras fait. D’accord ?
— Oui. Merci. Promis je repasserai.
— J’en serais très heureuse.

Déchaînez-moi

Ma réponse à cette tribune emplie de morve et de haine que quelques “militaires” ont publié. Je n’ai que de l’amour à donner. Désolé… Alors je le fais avec ce que j’aime : la poésie des mots et la mélodie du cœur.

J’entends malgré moi les mots
Qui me sont envoyés coup sur coup
Parce que je suis gros ou homo,
Parce que c’est à moindre coût
Qu’on peut pourrir le différent
D’un bon jeu de mots navrant.

Je ressens l’indicible frontière
Qui a été tracée entre les êtres
Possédant et les autres poussières
Qu’il ne faut surtout pas admettre
Dans cette société trop bien huilée
Pour laisser la différence s’y faufiler.

Déchainez-moi !
Laissez-moi vous sourire
Pour vous montrer sans émoi
Qu’en vous délire
Le parfum rance
D’une nation qui se délite
Au son de vieillards en trance.
Pensée réduite…

La vieille rengaine, Maréchal,
Revient hanter les âmes perdues !
La vérité ici vous est bien égale
Pour trouver celui qui sera pendu.
La vérité des uns fait le malheur
Des autres pour une idée, un leurre.

Le violon

Entends-tu cet instrument qui pleure
Comme un homme enragé ?
Ces cordes vibrent comme une fleur
Balayée par le vent engagé.

Entends-tu le violon qui sanglote
Ces pages d’un automne
Si fragile et tellement monotone,
Engourdi par quelques notes ?

Entends-tu le violon qui fait courir
Les notes comme des graines
Que le vent arrache à la fleur qui va s’ouvrir
Comme une enfant perdant son hymen ?

J’ai entendu ce violon,
Violent comme un cri furibond.
N’écoute pas ce désespoir,
Il pourrait t’emmener au soir.

Toujours là

Les nuits sont emplies de vous,
Comme mes jours sont nostalgiques.
Vos visages ne vieillissent pas.
Je vous contemple avec tristesse

Car je sais que vous serez flous
A mon réveil, souvenirs mécaniques
D’un songe qui m’a uni encore une fois
A vous qui, en moi, vivez sans cesse.

Vous êtes là
Encore et toujours.
Vous êtes là
A m’entourer d’amour.
Dix, vingt, voire bientôt trente ans
Mais vous êtes vivants par Morphée.
Je vous côtoie même les yeux fermés
Comme si nous étions au présent.

J’aimerais continuer à vous voir souvent !
Ces instants avec vous sont une bouée
Pour survivre sans vous pour me pousser.
Vous me manquez chers grands-parents.

Loup-garou

Chaque centimètre carré découvert
Prête envie à découvrir le suivant
Puis laisser une marque sur la chair
Ainsi frissonnante du plaisir gourmand.

Laisse-moi glisser mes doigts plus loin
Pour aller caresser les pointes rosées
Qui se dessine sur ton haut de lin
Pour que ma langue ici vienne danser.

Abandonne le reste à mon instigation
Pour que la chair de poule te traverse
De part en part jusqu’à la convulsion
Sous mes expertes et exquises caresses.

Je vais te dévorer tout cru
Car mon instinct l’exige !
Mes yeux ont déjà parcouru
Ton corps ! J’en ai le vertige !
De succion en morsure, j’abuse
Tandis que ton pilon en bouche,
Je ne vois que ta rondelle, ma muse !
Il est temps que ton corps je douche !

Ton corps appesanti est plus froid
Qu’il y a cinq minutes peut-être.
Déjà mon désir reflue tel le ressac.
J’ai beau t’avoir couronné roi,
Ton règne prend fin. Revint le mal-être
Qui accompagne mon cœur mis à sac.

J’ai bu tout mon saoul
Et rassasié mon démon
Mais mon cœur coule
Et s’enfouit dans le limon.